dimanche 6 février 2011

Les scènes coupées...

Lorsque j'ai eu terminé la première version d'Une ombre plus noire que la nuit (qui se nommait alors "L'orphelin du Maïling", entre parenthèses), je me suis retrouvé avec un bouquin de 900 pages sur les bras, aussi a-t-il fallu tailler dans cette matière vive, la mort dans l'âme. Et voilà que je tiens ma revanche : ces éléments de civilisation (qui, certes, n'amènent rien au déroulement de l'histoire) n'ont-ils pas totalement leur place sur ce blog ? Le premier extrait ci-dessous traite de l'habitat et des modes de vie du Maïling.

L’habitat de cette région différait en tous points de celui des autres parties de l’Empire. Les antiques yourtes en peau qui avaient, des millénaires durant, accompagné les migrations des peuples semi-nomades, s’étaient adaptées aux modes de vie des colons osphirois : la peau s’était muée en pierre à mesure que les chasseurs s’étaient faits cultivateurs.
En revanche, les fermes actuelles avaient conservé la forme circulaire des anciens campements. Malgré des variantes de détail, elles avaient une tendance marquée à se ressembler, ce qui était lié en grande partie à la façon dont elles étaient construites : lorsqu’un nouveau foyer s’installait, l’ensemble des habitants de la vallée s’assemblait et venait en aide aux jeunes époux dans la construction de leur ferme. Les travaux commençaient par le creusement d’un vaste fossé annulaire, profond et large d’un mètre cinquante environ, au son de chants traditionnels, dont la cadence permettait de rythmer les travaux. La terre en était rejetée à l’intérieur, avant d’être consciencieusement damée par les femmes au moyen de lourds maillets de bois.
Puis, tandis qu’une équipe charriait des pierres pour élever le mur de la ferme-yourte, l’autre se rendait au pied des montagnes afin d’abattre les arbres qui serviraient aux charpentes et à l’enceinte : leurs grands troncs droits formaient un matériau idoine pour la palissade qui couronnait la levée de terre.
Les Bhankas comptaient traditionnellement trois bâtiments : un habitat circulaire au centre, d’une dizaine de mètres de diamètre[1], une forge et un enclos, disséminés contre la face intérieure du talus.
Si certaines fermes étaient entièrement en pierre, la plupart associaient ce matériau à la terre battue, principalement par souci d’économie : le montage des murs en pisé était aussi tout un spectacle, avec les coffrages que l’on empilait les uns sur les autres, le damage de la terre (essentiel pour l’imperméabilisation), là aussi assuré par les femmes. Les deux pieds dans la terre, les pantalons retroussés au genou, elles houspillaient les hommes, se montrant volontiers grivoises dans cette situation inhabituelle. C’était un travail dur, de longue haleine, mais tous s’y prêtaient volontiers car il s’accomplissait dans une atmosphère de fête, de liesse générale : après tout, c’était un événement heureux que la naissance d’un foyer, préfigurant d’autres naissances à venir.
Il faut dire que les occasions de côtoyer tous les habitants de la vallée n’étaient pas si nombreuses : bien que certains villages existassent, ils ne constituaient nullement le mode de vie le plus représentatif des gens du Maïling. En effet, ces derniers cultivaient, en plus de leurs terres, un goût farouche pour l’indépendance : aussi leurs fermes étaient-elles disséminées de loin en loin, tels des îlots de civilisation au cœur des terres incultes.
Dans ce cadre bien particulier, les veillées prenaient une importance cruciale : pour les uns, c’était l’occasion d’effectuer de multiples échanges, qu’il s’agît de vivres ou des dernières nouvelles ; l’on y faisait également des rencontres, ce qui s’avérait capital pour les jeunes gens à la sensualité en éveil ; et puis, surtout, l’on y évoquait le passé, les légendes, en bref l’on y perpétuait la culture osphiroise.
On comprendra donc aisément l’importance de la figure du conteur dans ce type de société : il était à la fois celui qui savait et celui qui narrait. Il était le gardien des secrets, l’ultime rempart du savoir face aux abîmes de l’oubli.


[1] Notons que ces dimensions élevées étaient rendues possibles par la présence des sapins géants qui poussaient sur les contreforts septentrionaux des Ossements de la Terre. Cette essence, aujourd’hui disparue, atteignait fréquemment les 30 mètres de hauteur, et la rectitude absolue des troncs faisait le bonheur des charpentiers.

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