lundi 28 février 2011

Les scènes coupées : les péripéties du jeune Soren.

(Sa mère, paniquée par les cris du troupeau d'aphalgores, trouve Soren perché sur un bien curieux véhicule)
Le lieu où Soren se trouvait n’était pas un endroit comme les autres : il s’agissait de l’un de ces endroits où les lois universelles étaient abolies ou, pour le moins, atténuées, dans lesquels elles devenaient miscibles, par une sorte de coalescence élémentale. Ici, dans la Combe des Oiseaux de Pierre, l’air et la terre effectuaient de concert un bien curieux ballet : de véritables îlots, de forme et de taille variables, semblaient prendre leur envol de leur volonté propre. Là, pareils à des mastodontes volants, ils s’élevaient en panache, effectuaient une grande boucle et revenaient se poser en douceur à leur point de départ.
C’était l’un des terrains de jeu favoris de Soren, bien qu’il s’agît aussi d’un lieu que lui avaient formellement (et à maintes reprises !) interdit ses parents : de plus, non content d’aimer sauter d’île en île au mépris de toute prudence, le garnement se plaisait à y conduire les aphals qui, une fois pris sur leur nef de fortune, tremblaient de tous leurs membres en meuglant désespérément.
Tout en le regardant descendre, sa mère s’étonna une fois de plus que son insatiable curieux de fils n’ait jamais posé la moindre question sur l’origine de ces bouleversements : ceci dit, elle s’en félicitait chaleureusement, car il n’était pas du genre à se contenter d’une réponse du style : « C’est à cause du Sang de la terre » et c’était pourtant tout ce qu’elle aurait pu lui rétorquer.
« Cette énergie parcourt le monde comme le sang dans nos veines », lui avait dit un vieil homme dans une ville du Sud, plusieurs années auparavant, ce qui ne l’avait guère éclairée : d’ailleurs, elle se surprenait à éprouver un léger sentiment de honte à l’idée de n’avoir pas vraiment cherché à en savoir plus… Mais bon, après tout, il y avait les Shanfu pour s’occuper de ces choses !
Quoi qu’il en fut, Soren semblait trouver cela parfaitement naturel, peut-être parce qu’il avait grandi avec ces manifestations comme parties intégrantes de son quotidien. Cela leur avait d’ailleurs valu une terrible frayeur l’année précédente... (la suite dans le prochain article^^)

lundi 21 février 2011

Le dernier voyage...

Juste un dessin réalisé quelques années auparavant, qui s'inspire autant de Tristan et Iseult que de l'imaginaire Tolkiénien (ce qui est cohérent, dans la mesure où Tolkien était un spécialiste de la littérature médiévale).

dimanche 13 février 2011

Les scènes coupées : suite.

Dans sa première version, Une ombre plus noire que la nuit commençait de manière bien plus lente, descriptive, centrée sur l'enfance de Soren. Voici à quoi ressemblaient les premières lignes :

Pas un bruit, pas même un souffle d’air, ne venait troubler le sommeil de plomb jeté sur la nature par la caresse d’un soleil trop généreux. L’astre diurne, tel un amant indélicat, écrasait de tout son poids sa maîtresse laquelle, soumise, éreintée, sans forces, s’abandonnait à son étreinte.
Des ondulations de chaleur papillotaient mollement à l’horizon, s’efforçant en vain de donner l’illusion d’un mouvement dans ce paysage amorphe.
Dans d’autres circonstances, on aurait pu, à l’instar des anciennes ballades, s’extasier devant le saisissant contraste né de la rencontre de la sombre masse des montagnes et des coulées d’or blond des champs de blé… mais, là, plongé dans ce four immobile, le spectateur éventuel n’en aurait pas eu la force. Tout juste aurait-il pu trouver l’ensemble un peu fade, éteint, et déplorer que l’ombre des montagnes fut si lointaine.
Les insectes eux-mêmes avaient cessé leur irritant ballet, vaincus à leur tour par l’insupportable langueur. Même les infatigables Taï-taï ou « araignées-sauterelles » étaient rivées au sol, tant le moindre effort se muait en prouesse de légende : elles pendaient mollement au bout de leur filin, résignées, semblait-il, dans l’espoir de températures plus clémentes.
Pourtant, quelque chose bougeait dans la plaine.
Des formes indistinctes, ramassées, torturées par les vagues de chaleur qui déformaient la vue.
Des silhouettes noires et compactes, voûtées, à la limite de la fixité.
L’œil saisissait pourtant les signes ténus d’un déplacement, si léger fut-il. On eut dit qu’un simulacre de vie était entré en quelque végétal rabougri : la créature biscornue et maladroite qui en résultait se mouvait gauchement, écrasée par le sentiment de son anormalité, la tête lourde d’un fardeau connu d’elle seule.
Là, dans les plaines septentrionales bordant la chaîne de montagne dite des Ossements de la Terre, il n’y avait que les paysans pour oser braver la canicule accablante qui, comme chaque été, s’abattait sur cette région d’Aeviris. D’une certaine façon, cette audace n’en était pas vraiment une : si eux seuls parmi tous les êtres de la création ne montraient aucune forme de prudence, c’était peut-être surtout parce qu’ils étaient les seuls à n’avoir pas le choix.
« Le blé n’a pas d’humeurs », entendait-on souvent dans les veillées durant lesquelles quelques jeunes trublions s’efforçaient d’obtenir un passe-droit pour les moissons prochaines, sous-entendant ainsi que lui (le blé) serait au rendez-vous, quoi qu’il advienne, et qu’il leur faudrait bien y être aussi.
Le travail de la terre est chose ingrate car les champs ne comptent pas les heures : un travail est fini ou il ne l’est pas, c’est la seule règle à savoir. Celui qui ne sème ou ne récolte pas à temps est un mort en sursis.
Ces phrases (et bien d’autres encore), Soren les avait toutes entendues au moins une fois, bien que, du haut de ses six ans, il n’en comprît pas véritablement le sens. Malgré son très jeune âge, Soren assistait déjà ses parents, dans la mesure de ses moyens : en regroupant en gerbe les épis qui avaient échappé aux adultes, en déplaçant les menus outils, etc.
Son âme avait encore la fraîcheur des jeunes années, aussi trouvait-il quelque plaisir à l’aide qu’il leur apportait : tout est nouveau dans les yeux d’un enfant.
Et c’était bien la dernière parcelle de fraîcheur qui se pouvait trouver en ce mois de Sommital de l’an 722 Ap.f.A : de mémoire d’homme, on avait rarement vu un Sacre aussi caniculaire[1].
Son père, se massant les reins après s’être redressé, le regarda passer, chargé d’un fardeau bien lourd pour lui : les yeux pleins de fierté, il se dit une fois encore que son fils serait un être d’exception.


[1] Les noms des mois et des saisons étaient calqués sur les cycles de la légende de Wudong Chen : consulter les Annexes en fin de volume pour de plus amples informations.

dimanche 6 février 2011

Les scènes coupées...

Lorsque j'ai eu terminé la première version d'Une ombre plus noire que la nuit (qui se nommait alors "L'orphelin du Maïling", entre parenthèses), je me suis retrouvé avec un bouquin de 900 pages sur les bras, aussi a-t-il fallu tailler dans cette matière vive, la mort dans l'âme. Et voilà que je tiens ma revanche : ces éléments de civilisation (qui, certes, n'amènent rien au déroulement de l'histoire) n'ont-ils pas totalement leur place sur ce blog ? Le premier extrait ci-dessous traite de l'habitat et des modes de vie du Maïling.

L’habitat de cette région différait en tous points de celui des autres parties de l’Empire. Les antiques yourtes en peau qui avaient, des millénaires durant, accompagné les migrations des peuples semi-nomades, s’étaient adaptées aux modes de vie des colons osphirois : la peau s’était muée en pierre à mesure que les chasseurs s’étaient faits cultivateurs.
En revanche, les fermes actuelles avaient conservé la forme circulaire des anciens campements. Malgré des variantes de détail, elles avaient une tendance marquée à se ressembler, ce qui était lié en grande partie à la façon dont elles étaient construites : lorsqu’un nouveau foyer s’installait, l’ensemble des habitants de la vallée s’assemblait et venait en aide aux jeunes époux dans la construction de leur ferme. Les travaux commençaient par le creusement d’un vaste fossé annulaire, profond et large d’un mètre cinquante environ, au son de chants traditionnels, dont la cadence permettait de rythmer les travaux. La terre en était rejetée à l’intérieur, avant d’être consciencieusement damée par les femmes au moyen de lourds maillets de bois.
Puis, tandis qu’une équipe charriait des pierres pour élever le mur de la ferme-yourte, l’autre se rendait au pied des montagnes afin d’abattre les arbres qui serviraient aux charpentes et à l’enceinte : leurs grands troncs droits formaient un matériau idoine pour la palissade qui couronnait la levée de terre.
Les Bhankas comptaient traditionnellement trois bâtiments : un habitat circulaire au centre, d’une dizaine de mètres de diamètre[1], une forge et un enclos, disséminés contre la face intérieure du talus.
Si certaines fermes étaient entièrement en pierre, la plupart associaient ce matériau à la terre battue, principalement par souci d’économie : le montage des murs en pisé était aussi tout un spectacle, avec les coffrages que l’on empilait les uns sur les autres, le damage de la terre (essentiel pour l’imperméabilisation), là aussi assuré par les femmes. Les deux pieds dans la terre, les pantalons retroussés au genou, elles houspillaient les hommes, se montrant volontiers grivoises dans cette situation inhabituelle. C’était un travail dur, de longue haleine, mais tous s’y prêtaient volontiers car il s’accomplissait dans une atmosphère de fête, de liesse générale : après tout, c’était un événement heureux que la naissance d’un foyer, préfigurant d’autres naissances à venir.
Il faut dire que les occasions de côtoyer tous les habitants de la vallée n’étaient pas si nombreuses : bien que certains villages existassent, ils ne constituaient nullement le mode de vie le plus représentatif des gens du Maïling. En effet, ces derniers cultivaient, en plus de leurs terres, un goût farouche pour l’indépendance : aussi leurs fermes étaient-elles disséminées de loin en loin, tels des îlots de civilisation au cœur des terres incultes.
Dans ce cadre bien particulier, les veillées prenaient une importance cruciale : pour les uns, c’était l’occasion d’effectuer de multiples échanges, qu’il s’agît de vivres ou des dernières nouvelles ; l’on y faisait également des rencontres, ce qui s’avérait capital pour les jeunes gens à la sensualité en éveil ; et puis, surtout, l’on y évoquait le passé, les légendes, en bref l’on y perpétuait la culture osphiroise.
On comprendra donc aisément l’importance de la figure du conteur dans ce type de société : il était à la fois celui qui savait et celui qui narrait. Il était le gardien des secrets, l’ultime rempart du savoir face aux abîmes de l’oubli.


[1] Notons que ces dimensions élevées étaient rendues possibles par la présence des sapins géants qui poussaient sur les contreforts septentrionaux des Ossements de la Terre. Cette essence, aujourd’hui disparue, atteignait fréquemment les 30 mètres de hauteur, et la rectitude absolue des troncs faisait le bonheur des charpentiers.

mercredi 2 février 2011

La carte fait peau neuve...

Enfin, façon de parler ! Grâce à mon ami Maxime, j'ai à présent une version "vieille carte" qui rend à merveille : merci l'ami :) Tant que j'y suis, commentons-la un peu, cette "nouvelle vieille carte". Le Maïling (ou "région du Nord" en osphirois), la patrie d'origine de Soren, est la plaine qui s'étend entre la chaîne des Ossements de la Terre et la forêt des Renégates : il s'agit d'une zone marginale d'Aposphir, mal défendue, sous la menace constante des barbares des Steppes.
Le monastère de Maïpen, dans l'enceinte duquel s'est déroulé l'essentiel de l'intrigue du premier volume des aventures de Soren, se trouve au Sud d'Aposphir, bien loin du Maïling : pourtant, le courage et l'abnégation des moines-guerriers constituent l'un des derniers remparts des populations civiles face à la menace du Nord. A ceux qui regretteraient de n'avoir pas vu Soren hors des frontières d'Aposphir, je dirai ceci : soyez sans crainte. Car c'est un empire en pleine expansion qui vous attend dans le second volume, avec les conséquences que l'on imagine pour notre jeune guerrier...