"Evidemment, la
nouvelle se répandit comme un feu de broussaille : Soo-Men Djayr était en ville
! L’homme le plus recherché de cette partie du monde avait osé quitter la mer
pour s’offrir un bain de foule, sûrement afin d’ourdir dieu savait quel
complot. Remontant le col de son long manteau couleur sable, il se hâta en
direction du port : il savait que les soldats ne tarderaient pas à
s’agiter en tous sens, comme autant de fourmis affolées par l’orage.
C’était le
prix à payer pour la vie qu’il avait choisie… une vie libre, aventureuse,
au-dessus des lois. Et, par-dessus tout, une vie consacrée à faire le cauchemar
d’Aposphir…
Le
cauchemer !, pensa-t-il en souriant fugacement : cela faisait
deux ans maintenant qu’il s’était fait un nom en arraisonnant les navires
battant pavillon impérial, déjouant les pièges tendus à son intention, envoyant
par le fond les bâtiments d’escorte que l’on adjoignait vainement aux convois
pour les protéger.
Du Levant au
Couchant, le pavillon pourpre aux deux épées noires entrecroisées était devenu
synonyme de terreur pour les bâtiments osphirois.
Il était partout, insaisissable, sans pitié : à
croire que les dieux étaient avec lui ! On racontait qu’il avait à lui
seul causé plus de pertes à l’Empire (humaines et financières) que l’ensemble
des armées affrontées en rase campagne.
« Soo-Men Djayr, La terreur des Mers ». La
légende voulait qu’il eût un contentieux personnel avec l’Empereur, sans que
l’on pût vraiment savoir de quoi il retournait : certains prétendaient
qu’il était en fait le fils caché de Taoyu Peng, le précédent maître du Trône
de Jade, spolié de son héritage par son autre fils.
D’autres
disaient qu’il avait tué l’ancien capitaine de la garde impériale, Soren
Dajymo, de ses propres mains, et que c’était pour cette raison que l’Empereur
le pourchassait inlassablement.
Bien que la réalité fût beaucoup plus triviale,
tout n’était pas faux : Soren Dajymo était bel et bien mort. Mais c’était
Kintam Peng qui l’avait tué, en sapant les bases mêmes de son existence :
il avait frappé au cœur, il avait séparé à jamais l’orphelin du Maïling de sa
seule raison d’être.
Quoi qu’il en fût, tous ceux qui colportaient la
légende s’entendaient sur un point : Soo-Men Djayr était fou, et il n’y
avait pas d’autre raison à chercher à son comportement. Il hantait les mers,
murmurant au pommeau de son épée comme à l’oreille d’un confident."
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